Imaginez un monde où vous pensez avoir fait vos propres choix mais qu’en réalité, quelqu’un d’autre les a fait pour vous. Imaginez un monde où vous pensez avoir voté pour quelqu’un mais vraisemblablement vos choix sont influencés depuis un simple bureau à Tel-Aviv. C’est le monde de Tal Hanan, un ancien opérateur des forces spéciales israéliennes. Tal a formé une équipe nommée “Team Jorge” et à l’aide des experts en cyber-opérations, influence, manipulation et son logiciel sophistiqué AIMS (Advanced Impact Media Solutions), capable de créer et de gérer des milliers de faux profils sur les réseaux sociaux (X, Facebook, Instagram, Telegram, Gmail et YouTube), il diffusait des informations erronées, pour influencer les opinions publiques et interférer dans les processus électoraux. Les services de Team Jorge étaient proposés aux gouvernements, aux partis politiques, aux entreprises privées et aux agences de renseignement.
Depuis 2015, Team Jorge affirme avoir manipulé les résultats de 33 élections présidentielles dans le monde, dont 27 avec succès. Il a créé des campagnes numériques capables d’infiltrer les conversations en ligne, de manipuler les perceptions et d’influencer les comportements des électeurs. En 2022, Tal Hanan fut piégé par deux journalistes se faisant passer pour des clients, il a été arrêté et condamné.
Pas de balles ou de missiles, l’information à elle seule fait plus de dégâts que n’importe quelle bombe. Un combat où aucune balle n’est tirée mais où n’importe qui possède une arme et peut l’utiliser à tout moment. C’est un champ de bataille invisible où la distance ne fait pas la différence, le nombre de balles est presque infini et les soldats ne se fatiguent pas. Cette guerre est mondiale et est alimentée continuellement.
C’est la guerre de l’information. Sun Tzu a dit : “L’art de la guerre, c’est de soumettre l’ennemi sans combattre” ou “Le meilleur savoir-faire n’est pas de gagner cent victoires dans cent batailles, mais plutôt de vaincre l’ennemi sans combattre”. L’Art de la guerre. Ses citations martèlent de remporter la guerre dans les esprits. Elle se gagne par les informations tout autour de nous : dans les livres, à la télévision, sur des images, à la radio, sur Internet. Elle ne se limite pas uniquement aux cyberespaces.
Comment la guerre de l’information façonne-t-elle désormais nos institutions, nos économies et nos esprits ?
La guerre d’information est l’ensemble des actions menées pour manipuler ou contrôler l’accès à l’information visant à déstabiliser un adversaire. Elle peut être menée par des individus, des organisations, des entreprises ou des États afin de servir des intérêts stratégiques, politiques, économiques, militaires ou personnels. Elle se joue dans l’espace médiatique, numérique, cognitif et psychologique. L’objectif est de façonner la perception que les individus ou les sociétés ont du monde, pour orienter leurs comportements ou leurs décisions et fabriquer leur opinion.
Auparavant, la lutte idéologique passait par la télévision, la radio et les institutions culturelles. Plus centralisé et lent. À titre d’exemple, durant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés larguaient des tracts de propagande avec des messages tels que “Vous êtes abandonnés”, “La guerre est perdue”, sur des lignes ennemies pour pousser les soldats nazis à se rendre. Ou bien, les nazis diffusaient des radios clandestines pour détruire le moral des résistants ou propager la confusion chez les Alliés.
Aujourd’hui, la guerre de l’information est un champ plein de confusions, car les moyens de diffusion d’informations ne sont plus centralisés. Internet, les réseaux sociaux et l’Intelligence Artificielle (IA) sont le nouveau terrain de guerre. N’importe qui, de n’importe où, peut mener des opérations d’influence et de manipulation depuis son smartphone. Cela a démocratisé la parole, mais aussi multiplié les sources de désinformation. La guerre de l’information est mondialisée, permanente et décentralisée. Les États, les entreprises, les groupes militants ou même des individus isolés peuvent influencer l’opinion publique à grande échelle.
Si nous devions définir quelques termes importants en lien avec la guerre informationnelle :
La désinformation consiste à diffuser volontairement de fausses informations afin de semer la confusion, d’entraîner le doute, de salir l’image de quelqu’un ou de manipuler la perception d’un événement en utilisant des photos truquées, faux communiqués, deepfakes, documents falsifiés et faux témoignages.
La propagande. Il s’agit de présenter les faits de manière biaisée afin de susciter les émotions et d’influencer les opinions. Son objectif est d’imposer une vision du monde, de légitimer certaines politiques ou d’ancrer durablement des biais dans les esprits à travers des storytellings, des répétitions ciblées, récits simplifiés, exploitation d’image et de symboles forts.
La Manipulation cognitive repose sur l’utilisation de techniques psychologiques visant à influencer les comportements, croyances, choix de consommation en modifiant la perception de la réalité en utilisant différentes méthodes comme la répétition ciblée, le framing, inoculation inversée, saturations etc…
Les Opérations psychologiques (PsyOps), vise à influencer les émotions, les attitudes et les comportements d’un adversaire afin de provoquer sa désobéissance, son découragement ou son abandon. Elles cherchent à démoraliser, à semer la confusion ou à affaiblir la cohésion d’un groupe par divers moyens comme menace voilée, rumeur ciblée, promesse de récompense, message de démoralisation…
L’ingénierie sociale est l’ensemble des techniques utilisées pour manipuler et exploiter les failles psychologiques d’une personne ou d’un groupe afin d’obtenir des informations confidentielles, un accès privilégié ou de semer la division de l’intérieur. Cette méthode détourne la confiance humaine en mobilisant différents leviers cognitifs comme l’empathie, la loyauté, la fausse amitié, la séduction et l’infiltration.
Le False flag (fausse bannière), désigne la fabrication d’un ennemi fictif en créant ou simulant un événement de toute pièce comme un assasinat, un attentat, mise une situation de crise pour la présenter venant de l’adversaire afin de justifier des mesures correctives, un riposte répression, invasion, guerre.
Le Piratage consiste à pénétrer illégalement en menant des cyberattaques sur des systèmes informatiques pour voler, saboter, manipuler, falsifier des informations ou documents importants dans le but de faire chanter ou discréditer une personne ou une entité.
L’influence via des acteurs intermédiaires (influenceurs, experts, think-tanks). Cette méthode instrumentalise des voix crédibles, fiables et plausibles pour légitimer une histoire ou un récit et le rendre plus acceptable par le public, à travers de faux témoignages d’experts, le financement d’influenceurs, la création de structures de recherche, de faux témoignages et autres moyens similaires.
Les opérations juridiques et administratives utilisent des leviers de l’État de droit, la bureaucratie, la loi, les procédures pour intimider, neutraliser ou censurer un adversaire. Procédures judiciaires abusives, enquêtes administratives, multiplication des contrôles fiscaux, interventions des groupes militants et ONG dans le but de faire taire.
Le Deepfake (IA générative), est l’usage des outils de l’Intelligence Artificielle (IA) pour générer ou imiter des textes, images, vidéos, audios de manière extrêmement réaliste pour fabriquer des preuves, tromper les systèmes, ou faire croire à quelque chose qui n’existe pas.
L’ingénierie sociale et infiltration : manipuler, influencer, utiliser toutes les techniques cognitives, utiliser la faiblesse ou l’émotion de quelqu’un pour obtenir un résultat.
Ces attaques et opérations ont un impact inimaginable et considérable sur la société civile, car elles déstabilisent les institutions, détruisent la crédibilité des personnes et des mouvements, provoquent la chute des gouvernements et fragilisent l’ordre social… Elles divisent l’opinion publique vers deux extrêmes, ce qui génère le conflit entre les citoyens. L’économie sera affaiblie par les cyberattaques sur des entreprises, les crashs boursiers, les boycotts massifs, et peut pousser les investisseurs à se retirer. En conséquence, les individus perdent leur emploi, doutent de tout, médias, science, institutions, voisins et de la confiance envers les dirigeants. Lorsque la sécurité, l’économie et la souveraineté d’un pays sont fragilisées, chaque citoyen subit ses conséquences.
J’écrirai d’autres articles pour développer certaines de ces méthodes et outils en détail et illustrer quelques solutions afin de se protéger. Il est essentiel de connaître ces méthodes afin de ne pas tomber dans les pièges et de ne pas contribuer à une guerre de l’information menée par une entité malveillante contre son propre pays et ses intérêts individuels. Car chacun et chacune d’entre nous est une potentielle victime de cette guerre.
La guerre de l’information à travers les réseaux sociaux, amplifiée par l’intelligence artificielle, a changé la forme de la guerre et a donné un nouveau visage au champ de bataille. Dans le brouillard de cette guerre, les gens n’ont plus le temps de vérifier chaque information à laquelle ils s’exposent, et ces informations sont de plus en plus nombreuses, émotionnelles, provocantes et dévastatrices.
Avec la multiplication de l’information (infobésité), les gens s’enferment dans une bulle informationnelle en cherchant seulement les informations qui appuient leurs croyances. On ne débat plus pour comprendre mais pour défendre son propre point de vue. On ne cherche plus à connaître la vérité mais seulement à ce qu’on voit, et finalement la guerre devient une guerre de perception et cognitive. Elle ne manipule pas seulement ce qu’on pense mais comment on pense. Finalement, chacun et chacune d’entre nous paie le prix de cette guerre par notre santé mentale, physique et matérielle.
L’information reste au cœur de ce conflit car elle est un actif stratégique à haute valeur. Elle est devenue le champ de bataille où se jouent à la fois la légitimité des institutions, la stabilité des marchés et la liberté de nos esprits. Pensez vous qu’elle donne le pouvoir de déterminer ce qui est vrai ou faux à ceux qui la détiennent ?
J’aimerais connaître votre avis dans les commentaires.
Article suivant : Qui mène la guerre de l’information mondiale, Etats, entreprises ou individus ?
L’information, un levier pour façonner l’opinion publique
L’information, un actif stratégique à haute valeur

